Journal d'un Terrien

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Calculs pour le lancement d'une fusée

Tout ce que vous voulez savoir sur les fusées spatiales sans oser le demander, ou "les fusées pour les nuls"

Résumé :

On va essayer de retrouver par le calcul les grandes lignes du design d'une fusée bi-étage, par exemple la fusée falcon 9 de la société SpaceX. Au passage, on fera un petit cours (très simple) de mécanique orbitale !

Pasted image 20231206193051.png

Il y a quelques formules de maths dans ce document, mais n'ayez pas peur, je vous expliquerai tout !

Petit rappel

Pour lancer un satellite, il ne suffit pas que la fusée monte "suffisamment haut". Il faut surtout que le second étage et la charge utile acquièrent une vitesse horizontale suffisante pour que la charge utile tourne autour de la terre sans retomber du fait de la gravité.

Cette vitesse doit être au minimum de 8 km/s, soit 28000 km/h. Pour cette raison, la fusée, initialement verticale, va monter certes, mais surtout s'incliner de plus en plus à l'horizontale. Il peut même arriver qu'à un moment donné son altitude diminue légèrement (sur une trajectoire quasi horizontale) pour gagner de la vitesse ! Le calcul montre que parfois c'est rentable de faire ainsi !

La force de gravitation

L'altitude h de la fusée est sa hauteur au dessus de la surface de la Terre, que nous supposerons sphérique. Pour le calcul des orbites, toutefois ce n'est pas pratique et on utilisera plutôt la distance entre la fusée et le centre de la Terre. Puisque le rayon de la terre est de 6377 km, on a donc, en kilomètres :

L'avantage d'utiliser au lieu de est que la force de gravité qui tire la fusée vers le bas se calcule alors très simplement :

Formule de Newton : loi de la gravitation universelle

G est la constante de gravitation universelle de Newton, M est la masse de la terre en Kg, m est la masse de la fusée en Kg encore, et est en mètres.
Le résultat est en Newton, qui est l'unité de force internationale : il faut une force F de 9,81 N pour soulever 1Kg à la surface de la Terre.

Dans la pratique, si on fait des calculs pour une fusée partant de la Terre, on utilisera la constante

Exemple

Ainsi, au niveau du sol, un objet ayant une masse de 1 kg subit donc une force d'attraction vers le bas de . Cette force est le poids de l'objet.

A l'altitude de 200 km, on a km, soit m. Chaque kilogramme de la fusée (ou du satellite) subit une force d'attraction vers le bas de , un peu inférieure à ce que son poids serait au niveau du sol.

Vitesse orbitale

Eh oui, presque autant que les 9,81N à la surface de la Terre ! Pour que le satellite ne retombe pas, il doit aller très vite horizontalement, pour créer ainsi en tournant autour de la terre une force centrifuge qui compensera la force d'attraction terrestre.

Comment calculer cette vitesse ? La force centrifuge qui s'exerce sur un corp de masse tournant autour d'un autre à la vitesse et la distance est :

Donc, pour que le satellite reste en orbite, il lui faut au minimum une vitesse telle que :

En simplifiant, on trouve

vitesse minimum que doit avoir un satellite en orbite à une disance r du centre de la terre

soit, numériquement dans notre exemple d'un satellite à 200 km d'altitude :

Le job d'une fusée n'est donc pas tant d'aller très haut que d'aller très vite !

Les bases de la propulsion spatiale

En propulsion spatiale, la grandeur la plus importante est le , le différentiel de vitesse qu'il faut à la fusée pour passer d'une vitesse initiale à une vitesse finale grâce à une poussée des moteurs.

Changement d'orbite

Pour passer d'une orbite circulaire à une autre, généralement plus haute, on démontre que la méthode la plus économique est de passer par une orbite intermédiaire, elliptique (en forme d'ellipse), appelée orbite de transfert

Les orbites elliptiques sont caractérisées par deux points particuliers :

  • Le périgée est le point de l'orbite le plus prés de la Terre
  • L'apogée est le point de l'orbite le plus éloigné de la terre

Pasted image 20231128093502.png
On fait donc une première poussée au périgée (en bas sur l'image), ce qui nous met sur l'orbite de transfert, puis une seconde poussée une fois parvenu à l'apogée, ce qui circularise enfin l'orbite.

Par exemple pour passer d'une orbite circulaire à une altitude de 200 km à une autre orbite circulaire à 500 km d'altitude, le calcul donne m/s, et m/s, soit un total de 171 m/s, des valeurs étonnamment faibles.

En revanche pour attendre l'orbite géostationnaire, située à une altitude de 35 786 km, et toujours à partir de notre orbite "basse" à 200 km d'altitude, il faut un de 3,9 km/s, ce qui est beaucoup. Les fusées européennes Ariane 5 et Ariane 6 sont conçue pour placer leur charge utile directement en orbite de transfert pour l'orbite géostationnaire, sans passer par une orbite basse "d'attente"

La formule de Tsiovolsky

Pour une fusée loin de la terre en, en négligeant donc les frottement atmosphériques, et en l'absence de toute force externe, ce est, d'une manière surprenante, très simple à calculer : C'est l'équation de Tsiovolsky , ou formule de Tsiovolsky , qui date de 1903 !

Formule de Tsiovolsky

est la différence entre la vitesse finale et la vitesse initiale, est a masse initiale de la fusée, sa masse finale après la poussée, la vitesse d'éjection des gaz par le moteur, et le logarithme népérien.

Ainsi en définitive la vitesse finale atteinte par une fusée ne dépend que de la vitesse d'éjection des gaz, et du rapport entre la masse initiale et la masse finale ! En particulier, même si cela peut sembler bizarre, on peut calculer la vitesse atteinte par une fusée sans connaître la poussée des moteurs !

La vitesse d'éjection des gaz dépend des ergols utilisés et de l'efficacité des moteurs : les deux combinaisons d'ergols les plus utilisées sont le mélange oxygène/hydrogène liquides (le plus efficace avec une vitesse d'éjection maximale de 4 462 m/s) et le mélange kérosène/oxygène liquide (vitesse d'éjection maximale de 3 510 m/s.

Le décollage

Pour un décollage vertical, il faut modifier un peu la formule de Tsiovolsky comme suit, pour prendre en compte le freinage dû à la pesanteur :

est la durée de la poussée (sensée supérieure au poids total de la fusée !)

On comprend l'intérêt qu'il y a d'obtenir la plus grande poussée possible au décollage, ceci pour minimiser le temps T et donc le freinage dû à la gravitation.

Enfin, lorsqu'une fusée décolle du sol jusqu'à la hauteur , ou plus généralement lorsqu'elle effectue un changement d'altitude du fait de la poussée, l'équation de Tsiovolsky peut aussi s'écrire :

est l'accélération locale (moyenne) de la pesanteur. Comme nous l'avons vu, pour des orbites basses, celle-ci varie très peu avec l'altitude, et pour simplifier on peut prendre une valeur moyenne.

Exemple : Fusée monoétage

Par exemple pour une fusée à un seul étage, avec lancement à partir du sol () et une altitude visée de 200 km () on prendra ; Le terme vaut alors m/s

Si la la vitesse d'éjection des gaz est de 3400 m/s, et si l'on veut lancer un satellite avec cette fusée à un seul étage, il faut comme nous l'avons vu un minimum de 7900 m/s. On a donc, en appliquant l'eq. 4.2 :

donc

Il faudrait donc que la fusée soit 18 fois plus légère une fois son carburant épuisé ! Puisque la masse initiale est en fait constituée de la masse du carburant plus la masse de la structure plus la masse du satellite à lancer, et que la masse finale ne représente que ces deux dernières, cela revient à dire que la masse de carburant représenterait 17 fois la masse de la structure de la fusée (satellite inclus) !

C'est quasiment impossible à réaliser, et c'est pourquoi toutes les fusées existantes sont des fusées à plusieurs étages.

Et encore, on a négligé ici le frottement atmosphérique, qui réduirait encore le obtenu :

Le frottement atmosphérique et la résistance de l'air

Bien sûr, une fusée est très rapide, et la force aérodynamique augmente comme le carré de la vitesse. Mais d'un autre côté, la densité de l'air diminue très vite avec l'altitude, et sa vitesse initiale est ... zéro. Il existe donc un point, que l'on appelle , où la force de frottement aérodynamique est maximale

En fait, Une fusée est assez aérodynamique, et l'influence de tout ceci sur le est curieusement assez faible ; un calcul assez compliqué, que je vous épargne, montre que typiquement pour une fusée Falcon 9 on a :

Donc bien moins que la perte de vitesse due à la gravité !

Le site de Lancement

Paradoxalement, le choix du site de lancement peut nous aider : en effet, La terre tourne ! En 24h, elle fait un tour sur elle même, autrement dit, un point sur l'équateur aura tourné de 40070 km, qui est la circonférence de la planète.

Cela représente une vitesse de 40070/24 = 1670 km/h, ou en encore 463 m/s : ce n'est pas négligeable, et si nous tirons vers l'Est, cette vitesse viendra s'ajouter à la composante horizontale de la vitesse de la fusée, autrement dit se retrancher du nécessaire pour satelliser notre charge utile (qui vaut 7,9 km/s pour une orbite basse à 200 km d'altitude, comme nous l'avons vu)

Si nous tirons vers l'Ouest, en revanche, il faudra ajouter ces 463 m/s à notre minimum ; ce qui explique que presque tous les satellites sont tirés vers l'Est.

Et si le site de lancement n'est pas sur l'équateur ? Eh bien, si sa latitude est L, notre "bonus" en tirant vers l'Est sera tout simplement . Ce qui explique pourquoi les fusées européennes sont tirées depuis Kourou (L= 5,9°, cos(L)=0.99), et pas depuis Toulouse (L = 45°, cos(L) = 0.707),

A Kourou, on bénéficie d'un bonus de 461 m/s, contre 327 à Toulouse, 407 à Cap Canaveral en Floride, 439 à Boca Chica au Texas (site de lancement des starship), et seulement 217 à Baïkonour.

Les moteurs

Le rôle du moteur fusée est de jeter le plus de masse possible et plus le vite possible vers l'arrière de la fusée, ce qui par réaction propulsera la fusée vers l'avant, suivant la loi de conservation de la quantité de mouvement.

On pourrait penser que la caractéristique la plus importante d'un moteur de fusée est sa poussée, mais c'est inexact. Pour les spécialistes, les deux chiffres les plus importants dans la conception d'un moteur sont son impulsion spécifique" et son débit massique. Késako ?

Le débit massique

Le débit massique souvent noté , est la quantité de matière éjectée à chaque seconde. Un moteur brûle des propergols : un carburant, qui peut être de l'hydrogène, du kérozène, ou du méthane, et un comburant, en général de l'oxygène, afin de créer une énorme pression et d'éjecter les gaz produits le plus vite possible. Le début massique est donc aussi la quantité de propergol consommée à chaque seconde.

Contrairement aux réacteurs des avions, les fusées n'utilisent pas l'oxygène de l'air, elles transportent leurs propres reserves dans d'immense réservoirs, en plus du carburant.

L'impusion spécifique

Pour déterminer l'efficacité d'un moteur fusée, on utilise l'impulsion spécifique qui se mesure en seconde, et qui est la durée pendant laquelle un kilogramme de propergol produit la poussée nécessaire pour élever une masse d'un kilogramme dans le champ gravitationnel terrestre au niveau du sol (c'est à dire une force de 9,81 N). Cette impulsion spécifique est une caractéristique du moteur et ne change pas tout au long de sa vie. Elle dépend notamment du mélange carburant-comburant utilisé par le moteur.

Par définition, donc :

Définition : Impulsion spécifique


est l'impulsion spécifique du moteur en secondes,
est la poussée du moteur en Newton,
l'accélération de la pesanteur au niveau du sol (9.81, donc),
et le débit massique, c'est à dire la quantité de carburant consommée et éjectée par seconde (donc en kg/s)

Par conséquent, la vitesse d'éjection des gaz vaut 9,81 fois l'impulsion spécifique du moteur :

Par exemple pour un moteur ayant une impulsion spécifique de 360 secondes, ce qui est le cas des moteurs de la fusée géante , la vitesse d'éjection des gaz sera de 3530 m/s :

Ce qui permet de réécrire la formule de Tsiovolsky (3.1) en fonction de l'impulsion spécifique du moteur :

Formule de Tsiovolsky à partir de l'impulson spécifique

Comment déterminer la poussée d'un moteur fusée ?

Si on connait la vitesse d'éjection des gaz, et le débit massique (c'est à dire la quantité de carburant consommée par seconde), et si on connait le diamètre des tuyères, donc leur aire , on peut calculer la poussée . On s'apperçoit qu'elle dépend aussi de la pression à la sortie de la tuyère, et de la pression atmosphérique ambiante :

Si la tuyère est conçue de telle façon que , on dit que la tuyère est adaptée à la pression atmosphérique ambiante et dans ce cas l'équation s'écrit simplement :

Mais c'est impossible dans le vide puis que alors et . On cherche alors à avoir l'aire la plus grande possible, et c'est pourquoi les tuyères des moteurs destinés à fonctionner dans le vide ont des tuyères énormes.

Fusée à deux étages, non réutilisable

On appellera et les masses à vide (sans carburant ni charge utile) du premier et second étage, et les masses de carburant embarqué par chaque étage, et la masse de la charge utile, qu'il faut bien sûr tenter de maximiser.

La masse au décollage de la fusée est donc la somme de toutes ces masses :

On mesurera les masses en kilogrammes ou en tonnes .

On supposera que les deux étages ont des moteurs d'impulsion spécifique respectives et ,

Le premier étage propulse l'ensemble jusqu'à la vitesse , puis le second (et la charge utile) jusqu'à la vitesse

Cette vitesse finale théorique doit être supérieure à la vitesse orbitale de 7,9 km/s (cf. eq. 2.3),

: Attention :

Les deux étages ont des rôles, et donc des profils de vol, très différents.

Le rôle du premier étage est de monter le plus haut possible et le plus vite possible, tout en s'inclinant de plus en plus à l'horizontale.

Donc dans le calcul de i faut tenir compte du freinage de la montée dû à la pesanteur.

Le second étage, en revanche doit accélérer horizontalement, c'est à dire sans presque monter, de manière à communiquer au satellite une vitesse suffisante pour... le satelliser, of course.

Donc dans le calcul de il suffira d'appliquer la formule de Tsiovolsky "telle quelle"

Le premier étage monte jusqu'à la hauteur de séparation des deux étages, et la vitesse est alors :

est bien sûr la durée de combustion des moteurs du premier étage, est l'accélération moyenne de la pesanteur pendant le vol de cet étage, et

En fait, comme ce premier étage fonctionnera en grande partie dans l'atmosphere, le sera un peu plus faible, mais comme nous l'avons dit cela peut être compensé largement en choisissant Le site de Lancement

Si le moteur du premier étage a fonctionné pendant le temps , et si son débit massique est , il aura consommé kilogrammes de carburant. Donc si cet étage est tout simplement éjecté en fin de combustion du carburant,

Le second étage, quant à lui, fournira un incrément de vitesse qui est :

avec

Les choix à faire lors de la conception

Il faut alors faire quelques hypothèses sur la conception de la fusée. On essayera de la faire la plus légère possible, et de maximiser la quantité de carburant embarquée.

Il faut aussi choisir le ratio de masse entre le premier et le second étage.

Par exemple pour la fusée Falcon 9 on a, en tonnes :

Masse vide carburant total % total durée
premier étage 25,6 395 420,6 78% 3,74 300s 162s
second étage 3,9 92,6 96.5 18% 4,57 348s 397s
charge utile 22 22 4%
TOTAL 539,1 100%

On constate que la structure d'une fusée est très légère. La masse du premier étage est constitué à 94% de carburant, celle du second (sans la charge utile) à 96%, ce qui est énorme, mais cela tombe à 21% si on inclut la charge utile.

Enfin, le second étage plein et avec sa charge utile représente 22% de la masse totale. Si l'on prend en compte uniquement les structures vides, celle du second étage ne représente que 13,2 % de la masse totale. Pourquoi ce choix ? Parce que le premier étage, le plus lourd, sera abandonné en route et qu'un second étage relativement leger pourra alors accélérer "à fond, à fond, toujours à fond", comme dirait Alain Prost.

De la théorie à la pratique

Nous pouvons alors calculer nos théoriques à partir de ces données :

Pour le premier étage,

Pour le second,

Soit un total de 7530 m/s, ce qui n'est pas tout à fait suffisant pour une satellisation ? Sauf que, souvenez-vous, comme on tire vers l'Est, on bénéficie d'un bonus qui dans le cas de cap Canaveral est de 407 m/s. Additionné à nos 7530 m/s, cela fait 7937 km/s. Bingo ! Notre satellite est sur orbite !

page créée le 06/12/2023 à 19:25
modifiée le 10/01/2024 à 20:28
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